25 mai 2016 par contactphyto | Catégorie : Non classé | Pas de commentaires
ParSOPHIE GUIRAUD
A Montpellier, les victimes des pesticides réunies autour d’une association
Denis Camuset, Jean-Marie Bony (de gauche à droite, premier rang), malades d’avoir manipulé des pesticides. Derrière (à droite), Dominique Marchal et Paul François.
L ‘association Phyto-victimes s’est réunie pour la première fois à Montpellier, le 21 mai. En 2015, elle a accompagné quarante-cinq actions en justice.
Les pesticides ont fait de moi un vieillard. » « Une veuve » pour Caroline, épouse de Yannick, « agriculteur mort des suites d’une leucémie » à 43 ans. « Un paraplégique » pour Denis, 48 ans, « atteint d’un lymphome qui a entraîné une paralysie », conséquence de « la lente accumulation de pesticides dans mon corps ». Derrière les mots qui claquent sur les affiches de l’association Phyto-victimes en assemblée générale à Montpellier le 21 mai, de vraies vies défilent.
Denis, c’est Denis Camuset, agriculteur à la tête de 97 ha dans le Jura, figure emblématique de la lutte pour une reconnaissance des effets délétères des produits phytosanitaires sur la santé. Il est là, sur son fauteuil roulant. Un pionnier. Comme le Spiripontain Jean-Marie Bony. Et Dominique Marchal, de Meurthe-et-Moselle, premier exploitant à avoir obtenu la reconnaissance de son cancer comme maladie professionnelle en 2006, ou encore le Charentais Paul François, président de Phyto-victimes, l’homme qui a fait “tomber” Monsanto, en 2015.
« Les médecins ne savent pas »
Établir un lien de cause à effet entre une maladie et l’exposition à des produits phytosanitaires n’est pas évident. « On a des victimes atteintes de maladies rares, peu documentées », indique Me Lafforgue, qui cite l’exemple d’un dossier en cours à Perpignan, « avec un gros problème d’identification de la maladie ».
Jean-François Rossi, hématologue au CHU de Montpellier, admet : « Les médecins ne savent pas reconnaître les signes de la maladie. Quand vous avez mal à la tête, aux yeux, des vomissements, on vous dit que c’est psychosomatique… Il faudrait, dans les facultés, un enseignement sur ces questions de toxicité qui ne concernent pas uniquement les médicaments mais aussi l’environnement . » L’étude qui fait référence dans le milieu agricole, Agrican, en 2011, concluait qu’un agriculteur a moins de risque de mourir d’un cancer que la population générale. Pour Phyto-victimes, les résultats sont biaisés.
Un chemin « semé d’embûches »
L’année passée, l’association, née en 2011, a recensé « 45 dossiers de victimes » en attente de reconnaissance. Et déjà autant mi-2016. Des agriculteurs, des technico-commerciaux de coopérative agricole, des chercheurs à l’Inra, jardiniers, salariés de l’agroalimentaire… « Nous avons obtenu une douzaine de décisions favorables », se félicite François Lafforgue, figure de la défense des victimes de scandales environnementaux, qui mène invariablement le combat.
Pas toujours couronné de succès : « Le chemin est semé d’embûches », constate l’avocat, confronté « dans 90 % des cas à des expositions prolongées, avec parfois plus de 200 matières actives et cinquante fabricants qui ont disparu ».
« Sous évalué »
Qui est alors coupable ? Il y a un mois, la cour d’appel de Metz a rejeté la demande d’indemnisation de Dominique Marchal. Le 9 juin, François Lafforgue espère une victoire dans le dossier breton Nutrea-Triskalia.
« Il ne faut pas se laisser faire par les organismes de sécurité sociale », martèle l’avocat. Au-delà d’une victoire judiciaire, il se bat pour une estimation juste du handicap lié à l’exposition aux produits toxiques, « sous-évalué ».
Il demande enfin la création d’un « fonds d’indemnisation pour les victimes de pesticides », à l’image de ce qui existe pour l’amiante. « Les choses évoluent », se félicite-t-il néanmoins. « Dans l’opinion publique », chez les politiques, chez les juges, « au plus haut niveau ».
« Il ne suffit pas de dénoncer, il faut apporter des preuves »
Pour aller plus loin, « il ne suffit pas de dénoncer, il faut des preuves », insiste Paul François. Car les questions demeurent. « Quand j’interviens dans un lycée agricole, pour vingt jeunes qui épandent des produits phytosanitaires, un seul se protège, les autres travaillent comme il y a cinquante ans. Pourquoi continue-t-on à faire croire que la seule solution est l’agriculture intensive ? »
Henry Sanchez, maire de Cazouls-d’Hérault, interpelle l’assemblée : « Nous avons des cultures de vignes et de céréales, nous subissons les pulvérisations, qu’est-ce qu’on peut faire légalement ? »Puis encore, un père meurtri : « Mon enfant a eu une leucémie à 7 ans, nous habitons au milieu de champs, est-ce la cause de sa maladie ?
Témoignage : « Repartir à zéro »
« Sans elle, je n’aurais rien fait », répète inlassablement Dominique Marchal. Depuis quatorze ans, Catherine se bat pour la reconnaissance de la maladie de son mari : « Dominique est tombé malade en 2002. Depuis qu’il avait 18 ans, c’était lui qui faisait les traitements de la ferme, 500 hectares exploités en Gaec. On s’est rendu compte du problème lors d’un séjour à la mer. Il avait mal au bras, il devenait bleu… La MSA ne nous a pas pris au sérieux.
Le tribunal des affaires de sécurité sociale (Tass) a nommé un expert hématologue qui a posé le diagnostic, et nous a encouragés : “Si vous n’avez pas peur de continuer…” Sa maladie figurait au tableau des maladies professionnelles liées à l’exposition au benzène. Il a fallu trouver du benzène dans les 250 produits qu’il avait manipulés. On en a trouvé huit. On a obtenu la reconnaissance en 2006. Ça a été le premier agriculteur de France. On a continué notre combat pour obtenir une indemnisation.
Le mois dernier, la cour d’appel de Metz a remis en cause le lien de causalité. On a été anéantis. Il faut repartir à zéro. On peut aller en cassation… Avec les attentats, on se dit que l’État a d’autres priorités, on ne débloquera pas d’argent pour nous. Mon mari est toujours agriculteur, le Gaec continue à utiliser des pesticides, c’est compliqué de passer en bio. »